Aller au contenu

Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/430

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XI

À son retour du Midi, Pierre, qui se trouvait dans la plus heureuse disposition d’esprit imaginable, mit à exécution son projet d’aller faire une visite à son ami Bolkonsky, qu’il n’avait pas vu depuis deux ans.

Bogoutcharovo était situé au milieu d’une plaine zébrée de champs et de forêts, dont quelques parties étaient abattues, et qui n’offrait à l’œil rien de bien pittoresque. La maison et ses dépendances s’élevaient au bout du village, dont les isbas[1] s’alignaient le long de la grand’route, au delà d’un étang creusé et empli d’eau si nouvellement, que l’herbe n’avait pas encore eu le temps de verdir sur ses bords, et au milieu d’un tout jeune bois, que dépassaient quelques pins de haute taille.

Les dépendances se composaient d’une grange, d’une écurie et d’un bain ; la maison se composait de deux ailes et d’un grand corps de logis en pierre, avec une façade demi-circulaire encore inachevée ; elle était encadrée par les contours d’un jardin. Les palissades et les portes cochères étaient solides et neuves ; on voyait sous un hangar deux pompes à incendie et un tonneau peint en vert. Les chemins, tracés en ligne droite, étaient coupés par des ponts à balustrades solidement construits. Tout portait l’empreinte de la bonne tenue et de l’ordre. À la question : « Où est le prince ? » les gens de service répondirent en indiquant une maisonnette toute neuve, sur le bord même de l’étang. Le vieux menin du prince André, Antoine, aida Pierre à descendre de calèche, et le fit entrer dans une petite antichambre, fraîchement décorée.

Il fut frappé de la simplicité de cette demeure, qui contrastait avec les brillantes conditions d’existence qui entouraient son ami, lors de leur dernière entrevue. Il entra avec précipitation dans la pièce suivante, qui exhalait l’odeur du sapin et qui n’était même pas encore blanchie. Antoine passa devant lui, et courut, sur la pointe du pied, frapper à la porte d’en face.

« Qu’y a-t-il ? demanda une voix dure et désagréable.

— Une visite ! répondit Antoine.

— Prie-la d’attendre. » Et l’on entendit comme le bruit d’une

  1. Maison du paysan russe. (Note du trad.)