Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/61

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m’a-t-il dit, de ne pas avoir à me donner plus de peine ; vous n’avez qu’à ordonner. » C’est vraiment un brave homme et un bon parent. Tu sais, Nathalie, l’amour que je porte à mon fils ; il n’y a rien que je ne sois prête à faire pour son bonheur. Mais ma position est si difficile, si pénible, et elle a encore empiré, dit-elle tristement à voix basse. Mon malheureux procès n’avance guère et me ruine. Je n’ai pas dix kopeks dans ma poche, le croirais-tu ? Et je ne sais comment équiper Boris. »

Et, tirant son mouchoir, elle se mit à pleurer :

« J’ai besoin de cinq cents roubles, et je n’ai qu’un seul billet de vingt-cinq roubles. Ma situation est épouvantable : je n’ai plus d’espoir que dans le comte Besoukhow. S’il ne consent pas à venir en aide à son filleul Boris et à lui faire une pension, toutes mes peines sont perdues. »

Les yeux de la comtesse étaient devenus humides, et elle paraissait absorbée dans ses réflexions.

« Il m’arrive souvent de penser à l’existence solitaire du comte Besoukhow, reprit la princesse, à sa fortune colossale, et de me demander — c’est peut-être un péché — pourquoi vit-il ? La vie lui est à charge, tandis que Boris est jeune…

— Il lui laissera assurément quelque chose, dit la comtesse.

— J’en doute, chère amie ; ces grands seigneurs millionnaires sont si égoïstes ! Je vais pourtant y aller avec Boris, afin d’expliquer au comte ce dont il s’agit. Il est maintenant deux heures, dit-elle en se levant, et vous dînez à quatre… j’aurai le temps. »

La princesse envoya chercher son fils :

« Au revoir, mon amie, dit-elle à la comtesse, qui la reconduisit jusqu’à l’antichambre ; souhaite-moi bonne chance.

— Vous allez voir le comte Cyrille Vladimirovitch, ma chère, lui cria le comte en sortant de la grande salle ? S’il se sent mieux, vous inviterez Pierre à dîner ; il venait chez nous autrefois et dansait avec les enfants. Faites-le-lui promettre, je vous en prie. Nous verrons si Tarass se distinguera ; il assure que le comte Orlow n’a jamais donné un dîner pareil à celui qu’il nous prépare. »


XV

« Mon cher Boris, dit la princesse à son fils, pendant que la voiture mise à sa disposition par la comtesse Rostow quit-