Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/63

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valet de chambre qui s’était levé à leur approche, une des nombreuses portes qui donnaient dans cette pièce s’ouvrit et laissa passer le prince Basile en douillette de velours fourrée et ornée d’une seule décoration, ce qui était ordinairement chez lui l’indice d’une toilette négligée. Le prince reconduisait un beau garçon à cheveux noirs. C’était le docteur Lorrain.

« Est-ce bien certain ?

Errare humanum est, mon prince, répondit le docteur en grasseyant et en prononçant le latin à la française.

— C’est bien, c’est bien, » dit le prince Basile, qui, ayant remarqué la princesse Droubetzkoï et son fils, congédia le médecin en le saluant de la tête.

Alors il s’approcha d’eux en silence et les interrogea du regard. Boris vit l’expression d’une profonde douleur passer aussitôt dans les yeux de sa mère, et il en sourit à la dérobée.

« Nous nous retrouvons dans de bien tristes circonstances, mon prince… Comment va le cher malade ? » dit-elle, en faisant semblant de ne point remarquer le regard, froid et blessant dirigé sur elle.

Le prince Basile continua à les regarder en silence, elle et son fils Boris, sans chercher même à déguiser son étonnement ; sans rendre à ce dernier son salut, il répondit à la princesse par un mouvement de tête et de lèvres qui indiquait que la situation du malade était désespérée.

« C’est donc vrai ! s’écria-t-elle. Ah ! c’est épouvantable, c’est terrible à penser… C’est mon fils, ajouta-t-elle ; il tenait à vous remercier en personne. » Nouveau salut de Boris. « Soyez persuadé, mon prince, que jamais le cœur d’une mère n’oubliera ce que vous avez fait pour son fils.

— Je suis heureux, chère Anna Mikhaïlovna, d’avoir pu vous être agréable, » dit le prince en chiffonnant son jabot.

Et sa voix et son geste prirent des airs de protection tout autres qu’à Pétersbourg à la soirée de Mlle Schérer.

« Faites votre possible pour servir avec zèle et vous rendre digne de… Je suis charmé, charmé de… Êtes-vous en congé ? »

Tout cela avait été débité avec la plus parfaite indifférence.

« J’attends l’ordre du jour, Excellence, pour me rendre à ma nouvelle destination, » répondit Boris sans se montrer blessé de ce ton sec et sans témoigner le désir de continuer la conversation.

Frappé de son air tranquille et discret, le prince le regarda avec attention :