« C’est bien beau, ce que vous venez de dire, » lui souffla à l’oreille Julie en soupirant. Sonia, saisie d’un tremblement nerveux, l’avait écouté toute rougissante, tandis que Pierre approuvait le discours du colonel :
« Voilà qui s’appelle parler, dit-il.
— Vous êtes, jeune homme, un vrai hussard, reprit le colonel, en recommençant à frapper sur la table.
— Hé, là-bas, pourquoi tout ce bruit ?… »
C’était Marie Dmitrievna qui élevait la voix.
« Pourquoi ces coups de poing ? À qui en as-tu ? En vérité, tu t’emportes comme si tu chargeais des Français !
— Je dis la vérité, lui répondit le hussard.
— Nous parlons de la guerre, s’écria le comte, car savez-vous, Marie Dmitrievna, que j’ai un fils qui part pour l’armée ?
— Et moi, j’en ai quatre à l’armée et je ne m’en plains pas ; tout se fait par la volonté de Dieu. On meurt couché « sur son poêle[1] », et l’on se tire sain et sauf d’une mêlée, continua Marie Dmitrievna, en élevant sa forte voix qui résonnait à travers la table…
Et la conversation se localisa de nouveau entre les femmes d’un côté, et les hommes de l’autre.
« Je te dis que tu ne le demanderas pas, murmurait à Natacha son petit frère, tu ne le demanderas pas ?
— Et moi, je te dis que je le demanderai, » répondit Natacha…
Et la figure tout en feu et avec une audace mutine et résolue, elle se leva à demi, et invitant Pierre du regard à lui prêter attention :
« Maman ! s’écria-t-elle de sa voix d’enfant, fraîche et sonore.
— Que veux-tu ? » demanda la comtesse effrayée.
Elle avait deviné une gaminerie, à l’expression de la figure de la petite fille, et elle la menaça sévèrement du doigt, en hochant la tête d’un air fâché et mécontent.
Les conversations cessèrent.
« Maman, quel plat sucré aurons-nous ? » reprit sans hésitation Natacha…
Sa mère faisait de vains efforts pour l’arrêter.
- ↑ En hiver, les paysans russes couchent sur leur poêle, construit de façon à leur permettre de s’y étendre plusieurs à la fois. (Note du traducteur.)