Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/145

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CHAPITRE III

I

Quoique Pierre eût une foi absolue dans les vérités que lui avait révélées le Bienfaiteur, et malgré la joie profonde qu’il avait ressentie pendant les premiers mois de son apprentissage, lorsqu’il se livrait avec un réel enthousiasme au travail de sa régénération intérieure, enfin malgré tous ses efforts pour y persévérer, cette nouvelle existence perdit subitement pour lui tout son charme, après les fiançailles du prince André, et la mort de Bazdéïew, arrivée à la même époque. Il ne lui en resta plus que le squelette, c’est-à-dire sa maison, sa femme, plus que jamais en faveur auprès d’un grand personnage, ses nombreuses et peu intéressantes connaissances, et le service avec son cortège d’ennuyeuses formalités ! Aussi fut-il saisi d’un profond dégoût en pensant à sa vie : il interrompit son journal, évita la société de ses frères, reparut au club, recommença à boire et à mener la vie de garçon, et fit tant parler de lui, que la comtesse Hélène se vit obligée de lui adresser de sévères reproches. Pierre lui donna raison en tous points, et se réfugia à Moscou pour ne pas la compromettre par sa conduite.

Lorsqu’il se retrouva dans son immense hôtel, avec ses cousines les princesses, qui séchaient sur pied et tournaient à la momie, avec sa nombreuse domesticité qui y grouillait dans tous les coins ; lorsqu’il aperçut la chapelle de la Vierge d’Iverskaïa rayonnante de la lumière des mille cierges qui brûlaient dévotement devant les saintes images enchâssées d’or et d’argent ; lorsqu’il eut traversé la grande place du Kremlin couverte