Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/103

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elle se renseigna auprès d’un prêtre russe sur la possibilité d’un divorce. Le prêtre lui assura, à sa grande satisfaction, que la chose était inadmissible, et lui cita à l’appui un texte de l’Évangile qui ôtait tout espoir à une femme de se remarier du vivant de son mari. Armée de ces arguments, inattaquables à ses yeux, la princesse courut chez sa fille de grand matin, pour être plus sûre de la trouver seule. Hélène l’écouta tranquillement et sourit avec une douce ironie.

« Je t’assure, lui répétait sa mère, qu’il est formellement défendu d’épouser une femme divorcée.

— Ah ! maman, ne dites pas de bêtises, vous n’y entendez rien. Dans ma position j’ai des devoirs…

— Mais, mon amie…

— Mais, maman, comment ne comprenez-vous pas que le Saint-Père, qui a le droit de donner des dispenses… ? »

En ce moment, sa dame de compagnie vint lui annoncer que Son Altesse l’attendait au salon.

« Non, dites-lui que je ne veux pas le voir, que je suis furieuse contre lui, parce qu’il m’a manqué de parole…

— Comtesse, à tout péché miséricorde, » dit, en se montrant sur le seuil de la porte, un jeune homme blond, aux traits accentués.

La vieille princesse se leva, lui fit une révérence respectueuse, dont le nouveau venu ne daigna pas même s’apercevoir, et, jetant un coup d’œil à sa fille, quitta majestueusement la chambre. « Elle a raison, se disait la vieille princesse, dont les scrupules s’étaient envolés à la vue de l’Altesse : elle a raison ! Comment ne nous en doutions-nous pas, nous autres, lorsque nous étions jeunes ! C’était pourtant bien simple ! » ajouta-t-elle en montant en voiture.


Au commencement du mois d’août, l’affaire d’Hélène fut décidée, et elle écrivit à son mari — « qui l’aimait tant » — une lettre où elle lui annonçait son intention d’épouser N., et sa conversion à la vraie religion. Elle lui demandait en outre de remplir les formalités nécessaires au divorce, formalités que le porteur de la missive était chargé de lui expliquer : « Sur ce, mon ami, je prie Dieu de vous avoir en sa sainte et puissante garde. Votre amie, Hélène[1]. » Cette lettre arriva chez Pierre le jour même où il était à Borodino.

  1. En français dans le texte. (Note du trad.)