Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/224

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« Maman, j’écrirai ! »

Sous l’influence de ce mystérieux présage qui, en s’accomplissant, devait empêcher le mariage de Nicolas avec la princesse Marie, elle s’abandonna sans plus hésiter à ses habitudes de sacrifice, et ce fut les larmes aux yeux et pénétrée de la grandeur de cet acte généreux qu’elle écrivit, non sans être interrompue à plusieurs reprises par ses sanglots, la touchante épître dont la lecture avait si profondément troublé Nicolas.

IX

Une fois arrivés au corps de garde, l’officier et les soldats qui y avaient amené Pierre le traitèrent assez brutalement, sans doute en souvenir de la lutte qu’ils avaient eue à soutenir contre lui, sans se départir cependant d’un certain respect à son égard. Ils se demandaient avec curiosité s’ils n’avaient pas fait une capture importante, et lorsque le lendemain la garde fut relevée, Pierre s’aperçut que les nouveaux venus n’avaient plus pour lui la même considération. En effet, dans ce gros homme en caftan ils ne voyaient plus celui qui avait pris à partie le maraudeur et les soldats de la patrouille, mais tout simplement le n° 17 des prisonniers remis à leur garde par ordre supérieur. Tous ceux qui étaient enfermés avec lui étaient des gens de condition inférieure. Ayant reconnu en Pierre un « monsieur », et l’entendant parler français, ils ne lui épargnèrent pas les plaisanteries. Tous, lui aussi, devaient être jugés comme incendiaires, et le troisième jour on les conduisit dans une maison où siégeaient un général à la moustache blanche, deux colonels et d’autres Français. Il interrogea les prisonniers de cette façon nette et précise qui semble appartenir en propre à un être supérieur aux faiblesses humaines :

« Qui était-il ? Où avait-il été ? Dans quelle intention ? » etc…, etc…

Ces questions, en laissant de côté le fond même de l’affaire, et en éloignant par cela même la possibilité de le découvrir, tendaient au but que visent tous les interrogatoires des juges : tracer à l’inculpé la voie qu’il devait suivre pour arriver au résultat désiré, c’est-à-dire à s’accuser lui-même. Pierre, comme