Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’appuya contre la porte, en lui réitérant son invitation habituelle et toujours refusée de fumer une pipe avec lui… « Si encore on avait un temps comme celui-là quand on est en marche ! » dit-il.

Pierre l’interrompit pour lui demander ce qu’il savait de nouveau ; le vieux troupier lui raconta que les troupes quittaient la ville et qu’on attendait dans la journée l’ordre du jour concernant les prisonniers. Pierre lui rappela qu’un des soldats prisonniers, nommé Sokolow, était dangereusement malade et qu’il faudrait prendre quelques mesures à son égard.

« Soyez tranquille, monsieur Kiril, nous avons pour cela des hôpitaux volants de campagne, et c’est l’affaire des autorités de prévoir tout ce qui peut arriver… Et puis, monsieur Kiril, vous n’avez qu’à dire un mot au capitaine, vous savez… Oh ! c’est un… qui n’oublie jamais rien. Parlez-en au capitaine quand il viendra, il fera tout pour vous. »

Le capitaine en question causait souvent avec Pierre et lui témoignait beaucoup de sympathie.

« Vois-tu, saint Thomas, qu’il me disait l’autre jour : Kiril, c’est un homme qui a de l’instruction, qui parle français ; c’est un seigneur russe qui a eu des malheurs, mais c’est un homme… Et il s’y entend, le… S’il demande quelque chose, qu’il me dit, il n’y a pas de refus. Quand on a fait ses études, voyez-vous, on aime l’instruction et les gens comme il faut. C’est pour vous que je dis cela, monsieur Kiril. Dans l’affaire de l’autre jour, sans vous, ça aurait mal fini… » Et, ayant bavardé quelque temps, il s’en alla.

L’allusion du caporal avait trait à une querelle qui avait eu lieu dernièrement entre les prisonniers et les Français. Pierre avait eu la bonne chance d’apaiser ses compagnons. Quelques-uns d’entre eux, l’ayant vu parler avec le caporal, le prièrent de lui demander les nouvelles, et au moment où il leur en faisait part, un soldat français, maigre, jaune et tout déguenillé, s’approcha de leur baraque : portant la main à son bonnet de police en signe de salut, il demanda à Pierre si le soldat Platoche, auquel il avait donné sa chemise à coudre, était dans cette baraque.

Les Français avaient reçu la semaine précédente du cuir et de la toile, et ils les avaient donnés aux prisonniers russes pour leur en faire des bottes et des chemises.

« C’est prêt, c’est prêt ! dit Karataïew, en apportant l’objet demandé, proprement plié. Vu le beau temps, ou peut-être