— Cela te déplaît, dis donc ? » dit une voix railleuse. Et les soldats, marchant avec précaution, poursuivirent leur chemin, mais, à la sortie du village, la gaieté leur revint de plus belle, et ils reprirent leurs joyeux propos, entremêlés de jurons inoffensifs.
Les officiers supérieurs, réunis dans l’isba, devisaient vivement, en prenant leur thé, sur la journée qui venait de s’écouler et sur les manœuvres en projet pour le lendemain : il s’agissait d’une marche de flanc sur la gauche, pour couper les communications du vice-roi et le faire prisonnier.
Pendant que les hommes traînaient la haie en trébuchant à chaque pas, le feu s’allumait sous les marmites, le bois éclatait en crépitant, la neige fondait, et les ombres noires des soldats, qui battaient le sol de leurs semelles, se mouvaient en tous sens. Sans que le moindre commandement eût été donné, briquets et haches travaillaient à l’unisson : d’un côté on empilait la provision de bois pour la nuit, et l’on dressait les tentes pour les officiers ; de l’autre on faisait cuire le souper, on nettoyait les fusils et l’on astiquait les effets d’équipement. La haie, soutenue par des pieux, fut placée en demi-cercle du côté du nord pour empêcher le feu de s’éteindre. On sonna la retraite, on fit l’appel, on mangea, et l’on s’installa autour des foyers, les uns raccommodant leur chaussure ou fumant leur pipe, les autres se mettant tout nus et grillant à plaisir leur vermine.
VIII
Les conditions exceptionnellement pénibles de la vie des soldats russes, qui souffraient du manque de chaussures et de vêtements chauds, qui couchaient à la belle étoile et marchaient dans la neige par dix-huit degrés de froid, sans même recevoir la ration réglementaire, auraient pu faire croire avec quelque raison qu’ils devaient présenter l’aspect le plus triste et le plus navrant. Jamais au contraire l’armée, même dans la situation la plus favorable, n’avait été aussi en train et aussi bien disposée. Cela provenait de ce que chaque jour elle rejetait hors de son sein tout ce qu’elle avait d’hommes affaiblis et découragés. Il n’y restait donc que la fleur des troupes, celles qui conservaient la force de l’âme et celle du corps.