Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/28

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il m’a dit : Tu es un brave garçon, va ! Et voilà, c’est comme ça, je me suis engagé pour mon frère.

— Quoi ! C’est bien, dit Panoff.

— Oui, mais le croirais-tu, Antonitch, maintenant je m’ennuie. Et je m’ennuie surtout parce que je me suis engagé pour mon frère. Lui, maintenant, il règne, et moi, voilà, je me tourmente. Et plus j’y songe, plus ça m’ennuie. Évidemment c’est déjà un péché…

Avdeieff se tut.

— Veux-tu encore fumer ? demanda-t-il.

— Je veux bien. Arrange-moi ça.

Mais les soldats n’eurent pas le loisir de fumer. Pendant qu’Avdéieff se levait pour aller préparer de nouveau la pipe, on entendit, au milieu du bruit du vent, des pas sur la route.

Panoff saisit son fusil et poussa du pied Nikitine. Nikitine se leva et ramassa son manteau. Le troisième, Bondarenko, se leva également :

— Et moi, mes frères, qui faisais un tel rêve. Avdeieff lui fit un chut ! et les soldats se tinrent aux écoutes. Des pas sourds, d’hommes non chaussés de bottes, s’approchaient. On entendait de plus en plus distinctement, dans l’obscurité, l’écrasement des feuilles et des branches sèches ; puis on perçut une conversation en cette langue particulière, gutturale, des Tchetchenz. Maintenant les soldats non seulement entendaient, mais ils distinguaient entre les arbres deux ombres qui se déplaçaient. L’une d’elles était plus courte, l’autre plus allongée. Quand les ombres furent