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Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/105

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Elle descendit du traîneau et, malgré les objurgations de ses compagnons, fâchée, elle leur ordonna de la laisser.

Seule avec sa fourrure de chien blanc, elle trottait le long du chemin dans la neige. L’avocat, qui lui aussi était descendu, la regardait.

Le père Serge avait quarante-neuf ans. Sa vie était pénible, non à cause du jeûne et de la prière, mais à cause des luttes intérieures sur lesquelles il n’avait pas compté. Il lui fallait combattre le doute et le désir, et les deux ennemis se dressaient en même temps. Bien qu’il les considérât comme étant deux, ils ne faisaient qu’un en réalité. La preuve en était que le doute étant abattu, le désir disparaissait de lui-même. Mais il pensait que c’étaient deux diables différents et il les provoquait en combats isolés.

— Mon Dieu, mon Dieu, songeait-il, pourquoi ne me donnes-tu pas la foi ? Le désir ? Antoine et d’autres saints n’ont-ils pas lutté avec lui ? Mais la foi… Ils la possédaient, tandis que chez moi, des minutes, des heures, des jours entiers, elle m’abandonne ! Pourquoi le monde et sa séduction, si ce n’est que péché et qu’il faille renier ? Pourquoi as-tu créé ces tentations ? Car n’est-ce pas une tentation si, désirant quitter les joies de ce monde, je me bâtis quelque chose là-bas où peut-être il n’y a rien.

Il se dit cela et soudain un immense dégoût de lui-même s’empara de son être.

— Vermine ! Vermine ! et tu veux devenir saint !

Il se mit en prière. Mais à peine avait-il commencé qu’il se vit tel qu’il avait été autrefois au couvent avec sa robe, sa capuce et son grand air.

— Non, ce n’est pas cela. C’est une hypocrisie, et