Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/144

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Puis le Français remit vingt kopeks à chacun des pèlerins.

— Mais dites-leur bien que ce n’est pas pour des cierges que je leur donne cet argent, mais afin qu’ils se régalent de thé !

Puis, essayant de prononcer l’un des rares mots russes qu’il avait pu apprendre : « Tchaï, tchaï », dit-il avec un sourire protecteur.

Et il frappa Kassatsky sur l’épaule de sa main gantée.

— Que le Christ vous sauve, répondit Kassatsky en baissant sa tête chauve, sa casquette toujours à la main.

Et Kassatsky se réjouit tout particulièrement de cet incident en raison de l’extrême facilité avec laquelle il avait montré son mépris pour l’opinion du monde. L’instant d’après, il donnait ses vingt kopeks à ses compagnons.

Et à mesure qu’il avait moins de souci de l’opinion du monde, il sentait plus profondément que Dieu était avec lui.

Pendant huit mois, Kassatsky erra de cette manière, jusqu’au jour où il fut arrêté dans un asile de nuit où il couchait avec d’autres pèlerins. N’ayant point de passeport à montrer, il fut conduit au bureau de police. Quand on lui demanda des papiers pour prouver son identité, il répondit qu’il n’en avait aucun et qu’il était serviteur de Dieu. Il fut gardé par la police et envoyé en Sibérie.

Là, il se fixa dans la ferme d’un paysan, où il vit encore à cette heure. Il travaille au potager, instruit les enfants à lire et à écrire, et le village entier le considère comme un garde-malade sans pareil.