Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/143

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lire et à écrire, toujours il s’enfuyait aussitôt après, ne voulant pas attendre l’expression de la reconnaissance qu’il inspirait. Et ainsi, peu à peu, Dieu commença vraiment à se révéler à lui.

Un jour, il allait sur la route en compagnie de deux femmes et d’un soldat. Ils furent arrêtés par un groupe de promeneurs ; c’étaient un monsieur et une dame, dans une élégante voiture, et un autre couple à cheval. Le monsieur assis dans la voiture était un étranger ; un Français en visite dans une famille riche de la ville voisine.

Les hôtes du Français furent heureux, de pouvoir lui montrer des représentants de cette race de pèlerins, qui, disaient-ils, « en exploitant une superstition du paysan russe, montrent leur supériorité en vagabondant au lieu de travailler ». Ils disaient cela en français, pensant bien que personne des pèlerins ne pourrait les comprendre.

— Demandez-leur, dit le Français, s’ils sont bien sûrs que leur pèlerinage soit agréable à Dieu.

La question leur ayant été traduite en russe, la vieille femme répondit :

— Cela est absolument comme Dieu le veut. Nos pieds sont arrivés bien souvent aux lieux saints, mais, quant à nos cœurs, nous ne pouvons rien en dire.

On interrogea ensuite le soldat. Il répondit qu’il était seul au monde et n’avait d’attache nulle part.

Enfin les promeneurs demandèrent à l’ex-Père Serge qui il était.

— Un serviteur de Dieu !

— Celui-là doit être un fils de pope ! reprit alors le Français. On voit, qu’il est de meilleure race que les autres. Avez-vous de la petite monnaie ? »