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V


Migourski ne vivait pas à la caserne, mais dans un logement en ville. Nicolas Ier avait ordonné que tous les Polonais qu’on avait condamnés à la dégradation supportassent, non seulement toutes les misères de la vie militaire, mais encore toutes les humiliations et tout l’avilissement auxquels étaient soumis les troupiers de cette époque. Mais la majorité de ces gens simples qui avaient comme obligation d’exécuter les ordres de l’Empereur, comprenaient la douleur de tous ces exilés et malgré le danger auquel eux-mêmes s’exposaient, s’efforçaient d’en atténuer la dureté. Le chef de bataillon de Migourski, illettré et sorti du rang, comprenait très bien la situation de ce jeune homme jadis riche et instruit. Il le plaignait, le respectait et cherchait à adoucir son sort. Quant à Migourski, il ne pouvait ne pas apprécier la bonté de son commandant à favoris blancs dans son visage fruste de soldat et pour le remercier, il avait consenti à donner des leçons de français et de mathématiques à ses fils qui se préparaient à l’école des Cadets.

La vie de Migourski à Oural n’était pas seulement monotone et ennuyeuse, mais pénible. À part le chef de bataillon, dont il préférait se tenir éloigné, il n’avait aucune connaissance. La principale difficulté de cette vie était de s’habituer à la misère. Après la confiscation de son bien, il n’avait plus de moyens matériels