Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/27

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Il y avait une trentaine d’années de cela, son frère avait été fait soldat, et Doutlof voulait à tout prix que cela fût compté aujourd’hui et que ses enfants fussent libérés.

Outre Doutlof, il y avait quatre familles qui avaient trois garçons, mais l’un était bailli du village et la maîtresse l’en avait exempté. La seconde famille avait donné un fils au recrutement précédent. Quant aux deux dernières, elles donnaient chacune un garçon.

Le père de l’un n’était même pas venu à la réunion. Seule la mère se tenait à l’écart et attendait qu’un miracle vînt sauver son enfant.

Le garçon de la quatrième famille, sur lequel le sort était tombé, était venu lui-même. Il assistait à la réunion la tête baissée, sachant que son sort était décidé depuis longtemps. Toute sa personne portait l’empreinte d’une douleur profonde.

Le vieux Semen Doutlof était de ces hommes auxquels on aurait confié des centaines et des milliers de roubles ; sérieux, pieux, riche, et, comme nous l’avons déjà dit, marguillier à l’église. L’état de surexcitation, dans lequel il se trouvait, paraissait d’autant plus extraordinaire chez cet homme calme.

Le charpentier Riézoun était, au contraire, un homme violent, un buveur sachant parler en public, se faisant écouter par la foule. À ce moment-là, il parlait avec calme et ironie. Profitant de son talent oratoire, il fit perdre la tête au pauvre marguillier ordinairement sérieux et tranquille.

Outre ces deux adversaires, plusieurs jeunes paysans prenaient part à la discussion, ils étaient tous de l’avis de Riézoun.

Les autres paysans ne prenaient aucune part à la