Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/32

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Et la discussion recommença de plus belle.

Iégor Ivanovitch était intendant depuis vingt ans. Il connaissait bien son monde. Aussi, après les avoir laissés crier pendant un quart d’heure, leur ordonna-t-il de se taire.

Il appela les trois Doutlof et leur dit de tirer au sort. — On coupa trois branches. Sur l’une d’elles on fit un signe et on les mit dans un chapeau.

Il se fit un silence parfait.

Un jeune paysan tira les branches l’une après l’autre et sortit le nom de Iliouchka, le neveu de Doutlof, — un jeune homme qui venait de se marier…

— Est-ce le mien ? dit-il d’une voix éteinte.

Tout le monde se taisait.

Iégor Ivanovitch ordonna à chacun des paysans d’apporter l’argent pour les conscrits, sept kopeks par personne et leur dit que la réunion était terminée.

La foule s’ébranla et se dispersa peu à peu. L’intendant, resté toujours sur le perron, les regardait s’éloigner. Lorsque les jeunes Doutlof s’en allèrent, il appela le vieux et le fit entrer au comptoir…

— Je te plains bien, mon vieux, dit Iégor Ivanovitch, en s’asseyant devant son bureau… mais c’est ton tour. Achètes-tu quelqu’un à la place de ton neveu ou non ?

— Je voudrais bien acheter quelqu’un, mais je n’en ai pas les moyens, Iégor Ivanovitch. J’ai perdu deux chevaux cet été. J’ai marié mon neveu. C’est notre sort probablement, c’est parce que nous sommes honnêtes.

— Allons vieux ! nous savons ce que nous savons. Cherche un peu sous le plancher de ta chambre, tu trouveras peut-être des anciennes monnaies pour trois