Page:Tolstoï - La Fin de notre ère.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gent eux-mêmes, dépendent de la lutte des partis, des intrigues, des ambitions, de la vénalité ; ils expriment aussi peu la volonté et les désirs des peuples que ceux des gouvernements les plus despotiques.

Ces hommes sont semblables à des prisonniers qui s’imagineraient être libres parce qu’ils auraient le droit de donner leur voix pour l’élection de geôliers chargés de l’ordre intérieur et administratif de la prison.

Un sujet de l’État le plus despotique, le Dahomey, peut être absolument libre, bien que subissant les plus cruelles violences de la part du pouvoir qu’il n’a pas établi, tandis que le sujet d’un gouvernement constitutionnel est toujours un esclave parce que s’imaginant qu’il participe ou peut participer à son gouvernement, il reconnaît la légitimité de toute la violence qui s’exerce sur lui. Il obéit à tout ordre du pouvoir, de sorte que les sujets des gouvernements constitutionnels qui se croient libres, précisément à cause de cette croyance, perdent même la notion de la vraie liberté.

De pareils hommes en imaginant s’affranchir, se donnent de plus en plus en esclavage à leur gouvernement. Rien ne montre si clairement cet asservissement de plus en plus grand des peuples que l’extension et le succès des théories socialistes, c’est-à-dire l’aspiration vers un asservissement de plus en plus complet.

Les Russes, sous ce rapport, se trouvent en des conditions plus avantageuses, puisque, jusqu’à ce jour, ils n’ont jamais participé au pouvoir et ne sont pas dépravés par cette participation ; néanmoins, comme les autres peuples, ils se soumettent à toutes les tromperies de la glorification du