Page:Tolstoï - La Sonate à Kreutzer trad Halpérine.djvu/184

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son jeu avec une courtoisie exquise. Ma femme semblait se donner tout entière à la musique : elle était naturelle et charmante.

Moi-même, durant toute la soirée, je feignis, et je fus pris à ma propre feinte, de m’intéresser uniquement à la musique. En réalité la jalousie me torturait. Dès la première minute où je vis leurs regards se croiser, je compris qu’il ne la regardait pas comme une femme déplaisante avec laquelle on répugne à nouer des relations intimes.

Si j’avais été pur, je n’aurais pas scruté ses pensées, mais j’agissais de même à l’égard des femmes ; je le compris et j’en souffris beaucoup. Ce qui me faisait surtout souffrir c’est que j’avais l’assurance qu’elle n’avait pour moi qu’un sentiment de haine, interrompu de temps en temps par la sensualité habituelle, et que, d’autre part, je voyais que cet homme devait lui être agréable par ses