Page:Tolstoï - Le Faux Coupon et autres contes.djvu/35

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à être reconnaissant de ce qu’on l’ait tenu quitte des dépens et de ce qu’on ne le poursuive pas pour calomnie, ce qui lui vaudrait trois mois de prison.

— Je vous remercie, dit Ivan Mironoff, et en hochant la tête et soupirant, il sortit de la justice de paix.

Tout paraissait s’être bien terminé pour Eugène Mikhaïlovitch et Vassili. Mais cela semblait seulement ainsi. Il arriva quelque chose que personne ne pouvait voir, mais qui était beaucoup plus important que ce qui était apparent.

Il y avait déjà deux ans que Vassili avait quitté son village et habitait la ville. Chaque année il envoyait de moins en moins à sa famille, et ne faisait pas venir sa femme, n’ayant pas besoin d’elle. Il avait ici, en ville, autant de femmes qu’il voulait, et plus jolies que la sienne. Avec le temps Vassili oubliait de plus en plus les mœurs et les coutumes du village, et s’habituait à la vie urbaine. Là-bas tout était grossier, terne, pauvre, sale. Ici tout était raffiné, bien, propre, riche, ordonné. Et il se persuadait de plus en plus que les gens de la campagne vivent sans penser, comme des bêtes sauvages, et qu’il n’y a qu’en ville que sont de vrais hommes. Il lisait de bons auteurs, des romans ; il allait au spectacle dans la Maison du Peuple. Au village, on ne pouvait voir cela, même en rêve. Au village, les anciens disaient : Vis avec ta femme ; travaille ; sois sobre ; ne sois pas vaniteux ; et ici, les hommes intelligents, savants, qui connaissaient les vraies lois, vivaient tous pour leur plaisir. Et tout était bien.

Avant l’histoire du coupon, Vassili ne croyait pas que les maîtres n’ont aucune loi morale. Mais