Page:Tolstoï - Le Père Serge et autres contes.djvu/18

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LE PÈRE SERGE II

l’empereur·. Et Kassatzky le désirait fortement, non seulement par ambition, mais parce que, encore du temps qu’il était au Corps, il aimait passionné- ment, précisément passionnément, l’empereur Nicolas. Chaque fois que celui-ci venait chez les Cadets, et il y venait souvent, chaque fois que sa haute et forte personne en tunique militaire s’avançait d’un pas énergique, la poitrine bombée, le nez aquilin surmontant la moustache, et les favoris taillés, et que, de sa voix puissante, il salu- ait les Cadets, chaque fois Kassatzky ressentait l’enthousiasme d’un amoureux, juste pareil à celui qu’il éprouvait plus tard quand il rencontrait l’objet de sa flamme. Seulement l’enthousiasme amoureux suscité par Nicolas Pavlovitch était plus fort. Il aurait voulu pouvoir lui montrer son dévouement sans bornes, faire pour lui un sacri- fice quelconque, sacrifier tout, sacrifier sa personne. L’empereur savait qu’il excitait cet enthousiasme, et il le provoquait exprès. Il jouait avec les Cadets, s’entourait d’eux, s’entretenait avec eux, tantôt simplement, comme un enfant, tantôt amicalement, tantôt majestueusement et solen- nellement. Après sa dernière histoire avec l’offi- cier, l’empereur n’avait rien dit à Kassatzky, mais celui-ci s’étant approché de lui, il l’avait écarté d’un geste théâtral, et, les sourcils froncés, l’avait menacé du doigt ; puis, en partant, il avait dit : « Sachez que je sais tout, mais il y a des choses que je ne désire pas connaître. Seulement elles sont là, » et il avait indiqué son cœur. Quand les Cadets qui avaient terminé leurs études se présentèrent à l’empereur, il ne fit aucune allu- sion à cet incident, et, comme toujours, il leur dit qu’i1s pouvaient s’adresser directement à lui, il leur