Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/204

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Pour se convaincre de cette vérité il suffit de se rappeler ce qui se commet dans chaque état, au nom de l’ordre et de la tranquillité du peuple, et dont l’armée est toujours l’instrument. Toutes les querelles intestines de dynasties ou de partis, toutes les exécutions qui accompagnent ces troubles, toutes les répressions d’émeutes, toutes les interventions de la force armée pour dissiper les rassemblements ou empêcher les grèves, toutes les extorsions d’impôt, toutes les entraves à la liberté du travail, — tout cela est fait, ou directement à l’aide de l’armée, ou par la police appuyée par l’armée. Tout homme qui accomplit le service militaire, participe à toutes ces pressions qui parfois lui semblent douteuses, mais le plus souvent absolument contraires à sa conscience.

Ainsi des hommes se refusent à abandonner la terre qu’ils cultivent de père en fils depuis plusieurs générations, d’autres ne veulent pas circuler comme l’exige l’autorité, d’autres ne veulent pas payer d’impôts ; d’autres ne veulent pas reconnaître comme obligatoires des lois qu’ils n’ont pas faites ; d’autres ne veulent pas perdre leur nationalité, — et moi, remplissant le service militaire, je suis obligé d’aller attaquer ces gens-là ? Je ne puis pas, en prenant parti dans ces répressions, ne pas me demander si elles sont justes ou injustes, et si je dois concourir à leur exécution.

Le service universel est le dernier degré de la violence nécessaire au maintien de l’organisation sociale, c’est la limite extrême que puisse atteindre la soumission des sujets ; c’est la clef de voûte dont la chute déterminera celle de l’édifice tout entier.

Avec les abus grandissants des gouvernements et leur antagonisme, on en est arrivé à réclamer des sujets non seulement des sacrifices matériels, mais même des