Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/203

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Les impôts perçus pour les dépenses militaires absorbent la plus grande partie du produit du travail que l’armée doit défendre.

L’incorporation sous les drapeaux de tous les hommes valides compromet la possibilité du travail lui-même. Les menaces de la guerre, toujours prête à éclater, rendent inutiles et vaines toutes les améliorations des conditions de la vie sociale.

Si jadis on avait dit à l’homme que sans l’état il serait en butte aux attaques des malfaiteurs, des ennemis intérieurs ou extérieurs, qu’il aurait à se défendre seul contre tous, que sa vie serait menacée, que, par suite, il était avantageux pour lui de se soumettre à quelques privations pour éviter ces malheurs, l’homme pouvait y croire puisque le sacrifice qu’il faisait à l’état lui donnait l’espoir d’une vie tranquille dans un ordre de choses qui ne pouvait pas disparaître. Mais aujourd’hui que ses sacrifices ont décuplé et que les avantages qu’il pouvait en espérer ont disparu, il est naturel que chacun se demande si sa soumission à l’état n’est pas absolument inutile.

Mais ce n’est pas dans ce fait que réside la signification fatale du service militaire comme manifestation de la contradiction qu’enferme la conception sociale. La manifestation principale de cette contradiction consiste en ce que, avec le service obligatoire, tout citoyen devient le soutien de l’ordre de choses actuel et participe à tous les actes de l’état sans en reconnaître la légitimité.

Les gouvernements affirment que les armées sont nécessaires partout pour la défense extérieure. C’est faux. Elles sont nécessaires surtout contre les citoyens eux-mêmes, et chaque soldat participe malgré lui aux violences de l’état sur les citoyens.