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Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/242

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par sa seule influence personnelle. Il donna l’ordre d’amener quelques charretées de roseaux et, s’étant enfermé dans une grange avec les moujiks, il les terrifia tellement par ses imprécations qu’il les obligea à se fustiger mutuellement. Cette exécution continua jusqu’au moment où un jeune nigaud refusa de se laisser faire et conseilla aux autres de résister. Alors seulement le supplice cessa et le commissaire dut s’enfuir.

Ce sont ces conseils d’un petit nigaud que les hommes ne se décident pas à suivre. Ils continuent à se fustiger eux-mêmes et déclarent que c’est là le dernier mot de la sagesse humaine.

Est-il un exemple plus frappant d’exécution volontaire que la docilité avec laquelle les hommes de notre temps se soumettent à des fonctions qui les réduisent à l’esclavage et, particulièrement, au service obligatoire ? Les hommes se mettent eux-mêmes sous le joug : ils en souffrent, mais ils croient que cela doit être ainsi et que cela n’empêchera pas l’affranchissement de l’humanité, qui se prépare quelque part, on ne sait comment et malgré l’oppression toujours grandissante.

En effet, l’homme moderne quel qu’il soit (je ne parle pas du véritable chrétien), instruit ou ignorant, croyant ou athée, riche ou pauvre, marié ou célibataire, vit occupé de sa besogne ou de ses plaisirs, consommant le fruit de son travail ou celui du travail d’autrui, redoutant la gêne et les privations, la haine et les souffrances. Il vit ainsi, tranquillement. Tout à coup des individus pénètrent chez lui et lui disent : « 1o Promets et jure que tu nous obéiras servilement en tout ce que nous t’ordonnerons, et que tu considéreras comme vérités indiscutables tout ce que nous imaginerons et déciderons et que nous appellerons lois : 2o donne-nous une partie du produit de ton travail pour que, avec cet argent, nous te