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Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/306

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difficile d’y maintenir la victime qui se tordait. Le gouverneur ordonna d’apporter un autre banc et de mettre une planche. Les soldats, en faisant le salut militaire et en répétant : « Fort bien, Votre Excellence, » se mirent en devoir d’exécuter l’ordre, tandis que demi nu, pâle, l’homme martyrisé attendait, fronçant les sourcils, regardant la terre et claquant des dents. Quand le banc se trouva élargi, on réinstalla la victime et, de nouveau, les voleurs de chevaux commencèrent à frapper. De plus en plus le dos et les reins de l’homme se marbraient de rayures et, à chaque coup, on entendait les sourds gémissements que le supplicié ne pouvait retenir.

Dans la foule qui se tenait alentour, on entendait les cris de la femme, de la mère, des enfants, des parents du supplicié, et de tous ceux qui avaient été appelés à être témoins de l’exécution.

Le malheureux gouverneur, enivré de son pouvoir, comptait chaque coup sur ses doigts en les pliant l’un après l’autre, sans cesser de fumer sa cigarette, qu’autour de lui des gens serviables s’empressaient de lui rallumer en lui apportant une allumette enflammée.

Quand on fut arrivé à plus de cinquante, le paysan cessa de crier et de s’agiter, et le docteur qui avait fait ses études dans une institution de l’état pour pouvoir mettre ensuite sa haute science au service de son souverain et de sa patrie, le docteur s’approcha du supplicié, tâta le pouls, écouta le cœur et déclara au gouverneur que l’homme puni avait perdu connaissance et que, d’après les données de la science, il pouvait être dangereux pour la vie du patient de continuer l’exécution. Mais le malheureux gouverneur, déjà enivré par la vue du sang, ordonna de continuer, et l’exécution se poursuivit jusqu’au soixante-dixième coup, limite qu’il avait