Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/310

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dirigeantes se persuadent et persuadent aux autres, uniquement parce qu’il est des cas de violence sans supplices et sans assassinats, que ces avantages dont ils jouissent ne sont pas la conséquence de martyres et d’exécutions, mais celle de quelques causes générales et mystérieuses. Cependant, si les hommes qui voient l’injustice de tout cela (comme les ouvriers, aujourd’hui) donnent cependant la plus grande partie du produit de leur travail aux capitalistes, aux propriétaires fonciers, et payent les impôts sachant à quel mauvais usage ils sont destinés, il est évident qu’ils le font, non pour obéir à certaines lois abstraites dont ils n’ont aucune idée, dont ils n’ont même jamais entendu parler, mais parce qu’ils savent qu’on les frappera et qu’on les tuera s’ils s’y refusent.

Et, si l’on n’est pas obligé d’emprisonner, d’assommer et d’exécuter chaque fois que le propriétaire perçoit ses fermages, chaque fois que ceux qui ont besoin de pain doivent le payer trois fois ce qu’il vaut, chaque fois que l’ouvrier est obligé de se contenter d’un salaire insuffisant alors que le patron gagne deux fois plus, et chaque fois que le pauvre en est réduit à donner ses derniers roubles pour payer les taxes et les impôts, cela résulte de ce que, d’une façon ou d’une autre, on a déjà tellement assommé et tué les hommes pour leurs anciennes tentatives d’indépendance, qu’ils s’en souviennent pour toujours. De même qu’un tigre dompté, qui, dans sa cage, ne prend pas la viande qu’on lui met sous la gueule et qui saute par-dessus un bâton lorsqu’on le lui ordonne, agit ainsi parce qu’il se souvient de la barre de fer rougi, ou du jeûne dont on a châtié sa désobéissance, de même les hommes qui se soumettent à ce qui est contraire à leur intérêt et à ce qu’ils regardent comme injuste, se souviennent de ce qu’ils ont souffert lorsqu’ils ont voulu résister.