Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/311

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Quant aux hommes qui profitent des avantages résultant des violences antérieures, ils oublient souvent et aiment à oublier comment ces avantages ont été acquis. Cependant il suffit de relire l’histoire, non pas celle des exploits des divers souverains, mais la véritable, celle de l’oppression de la majorité par la minorité, pour s’apercevoir que tous les privilèges des riches ne sont basés que sur les verges, les prisons, les bagnes, les exécutions.

On peut citer des cas d’oppression, rares il est vrai, qui n’ont pas pour but de procurer des avantages aux classes dirigeantes, mais on peut dire hardiment que dans notre société, où, pour chaque homme vivant dans l’aisance, il en est dix usés par le travail, envieux, avides et souvent souffrant cruellement avec leurs familles, tous les privilèges des riches, tout leur luxe, tout leur superflu n’est acquis et assuré que par les mauvais traitements, les emprisonnements, les exécutions.

Le train rapide que je rencontrai le 9 septembre était composé d’un wagon de première classe pour le gouverneur, les fonctionnaires et les officiers, et de quelques wagons de marchandises remplis de soldats. Ces autorités et ces soldats se rendaient à Toula pour commettre une injustice flagrante. Ce fait prouve avec évidence combien les hommes peuvent accomplir des actes absolument contraires à leur conviction et à leur conscience, sans s’en apercevoir.

Les soldats, de braves jeunes gens, dans leurs uniformes tout neufs et propres, étaient groupés debout ou assis les jambes pendant par la large baie des wagons de marchandises. Les uns fumaient, d’autres se poussaient du coude, plaisantaient, riaient, montrant toutes leurs dents ; d’autres, grignotant des grains de tournesol,