Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/312

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en crachaient les pellicules d’un air d’importance. Quelques-uns couraient boire au tonneau d’eau qui se trouvait sur la plate-forme et, à la rencontre des officiers, ils ralentissaient le pas, faisaient leur geste stupide en portant la main au front d’un air sérieux, comme s’ils faisaient quelque chose de très important, passaient devant, puis se remettaient à courir plus joyeusement encore en frappant les planches de la plate-forme, riant et bavardant comme cela est naturel à des jeunes gens bien portants et bons garçons qui voyagent en joyeuse compagnie. Ils allaient assommer leurs pères et leurs grands-pères affamés, comme s’ils se rendaient à une partie de plaisir.

Les fonctionnaires en grande tenue et les officiers disséminés sur la plate-forme et dans le salon de première classe produisaient la même impression. À une table chargée de bouteilles était assis, en son habit demi-militaire, le gouverneur, chef de toute l’expédition. Il mangeait et s’entretenait tranquillement du beau temps avec des connaissances qu’il avait rencontrées ; comme si le but de son voyage était si simple et si ordinaire qu’il ne pouvait pas déranger sa quiétude et l’intérêt qu’il portait au changement du temps.

Un peu à l’écart de la table était assis le général de gendarmerie avec un air impénétrable, mais ennuyé, comme si toutes ces formalités l’excédaient. De tous côtés, des officiers, en leurs uniformes galonnés d’or, allaient et venaient avec bruit. Qui, à table, achevait sa bouteille de bière ; qui, debout près du buffet, mangeait un gâteau, secouait les miettes tombées sur le devant de l’uniforme et jetait la monnaie d’un geste assuré ; qui, en se dandinant, se promenait devant notre train et regardait les jolies femmes.

Tout ce monde, allant assassiner ou martyriser les