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Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/382

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Tu dis que le monde est organisé ainsi, que tout cela est inévitable, que tu le fais contre ta volonté. Mais avec une répulsion si forte pour les souffrances des hommes, les violences et le meurtre, avec un besoin si irrésistible d’amour mutuel, en voyant nettement que seuls, l’égalité de tous les hommes, leur désir de s’entr’aider peuvent réaliser la plus grande somme de bonheur possible, lorsque ton cœur, ton intelligence, ta foi te disent la même chose, que la science te le répète, est-il possible, que tu sois forcé, par je ne sais quelle argumentation confuse et embrouillée, de faire tout le contraire, propriétaire ou capitaliste : de baser ta vie sur l’oppression du travailleur ; empereur ou président, de commander à l’armée, c’est-à-dire être le chef et le guide de meurtriers ; fonctionnaire, de prendre aux pauvres leur dernier avoir pour en profiter personnellement ou le donner aux riches ; juge ou juré, de condamner aux souffrances ou à la mort des hommes égarés parce qu’on ne leur a pas montré la vérité, ou surtout, ce qui est la base de tout le mal, que toi, jeune homme, tu sois forcé de te faire soldat et, en renonçant à ta volonté et à tous tes sentiments humains, de t’engager à tuer, sur la volonté d’étrangers, tous ceux qu’ils t’ordonneront ?

C’est impossible.

Si même on te dit que tout cela est nécessaire pour le maintien de l’ordre de choses actuel, et que cet ordre, avec le paupérisme, les fascines, les prisons, les potences, les armées, les guerres, est nécessaire à la société ; que, si cette organisation disparaissait, des malheurs plus grands en résulteraient, ce n’est dit que par ceux qui profitent de cette organisation, tandis que tous ceux qui en souffrent — et ils sont dix fois plus nombreux — pensent et disent le contraire. Et toi même,