Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/46

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À l’occasion de mon livre, on m’a reproché la fausse interprétation de tel ou tel passage de l’Écriture ; parce que je ne reconnais pas la Trinité, la Rédemption et l’immortalité de l’âme, on a parlé de mon égarement. On a parlé de beaucoup de choses, mais point de celle qui constitue pour tout chrétien la principale, la plus essentielle question de la vie : comment concilier la doctrine nettement exprimée par le Maître et contenue dans le cœur de chacun de nous — pardon, humilité, patience, amour de tous, amis ou ennemis — avec l’exigence de la guerre et de ses violences contre nos concitoyens ou l’étranger ?

Les semblants de réponse faits à cette question peuvent se grouper en cinq catégories. J’ai réuni ici non seulement tout ce que j’ai trouvé dans les critiques de mon livre, mais encore tout ce qui a été écrit sur ce sujet dans le temps passé.

Le premier genre de réponses et le plus grossier consiste dans l’affirmation hardie que la violence n’est pas en contradiction avec la doctrine du Christ ; qu’elle est autorisée et même ordonnée par l’Ancien et le Nouveau Testament.

Les réponses de ce genre émanent pour la plupart de gens qui se trouvent au sommet de la hiérarchie administrative ou religieuse, et qui sont, par conséquent, absolument certains que personne n’osera leur opposer une contradiction que d’ailleurs ils n’entendraient pas. Par suite de l’ivresse du pouvoir, ces hommes ont perdu à tel point la notion de ce qui est le christianisme (au nom duquel ils occupent leurs positions), que tout ce qui s’y trouve de réellement chrétien leur apparaît comme hérétique, tandis que tout ce qui, dans les saintes Écritures, peut être interprété dans le sens antichrétien et païen leur apparaît comme le principe même du christianisme.