Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/56

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les yeux inquiets et fiévreux, et d’une voix basse et saccadée : « Je… la loi… comme chrétien… je ne puis pas… »

— Que dit-il là ? demande avec impatience le président, clignant des yeux, prêtant l’oreille et levant la tête de son livre.

— Parlez plus haut ! crie le colonel, dont les galons brillent.

— Je… Je… Comme chrétien…

Enfin, on comprend que le jeune homme refuse le service militaire parce qu’il est chrétien.

— Ne dis pas de bêtises. — Mets-toi sous la toise. Docteur, veuillez le mesurer. Bon ?

— Bon.

— Mon père, faites-lui prêter serment.

Non seulement personne n’est troublé, mais même on ne fait pas attention à ce que balbutie le piètre adolescent effrayé.

— Ils ont tous quelque chose à dire, comme si nous avions le temps de les écouter. Il reste encore tant de recrues à examiner !

Le conscrit semble vouloir ajouter quelque chose.

— C’est contraire à la loi du Christ.

— Allez, allez ! on n’a pas besoin de vous pour savoir ce qui est conforme à la loi et ce qui ne l’est pas. Allez ! marchez ! Mon père, catéchisez-le. Au suivant : Vassili Nikitine !

Et on emmène le jeune homme tout tremblant.

Et qui se doute — des gardes, de Vassili Nikitine qu’on vient d’amener et de tous ceux qui ont assisté à cette scène — que ces quelques mots sans suite, prononcés par l’adolescent et étouffés aussitôt, contiennent la vérité, tandis que les discours solennels des fonctionnaires et du prêtre, calmes et assurés, ne sont que mensonge et tromperie ?