Page:Tolstoï - Les Révolutionnaires.djvu/210

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conscience est bernée. C’est si séduisant ! Mais non. Aime celui qui est devant toi, avec qui tu vis, que tu vois avec ses habitudes, avec son souffle, avec le désir de se moquer de toi, de t’humilier, avec son désir de te contrecarrer… Aime celui-ci, aie pitié de lui, réconcilie-toi avec lui. Et cela est la vie.

Quand je dis : « Aime ton prochain… », ordinairement je m’arrête à ce mot, je n’ajoute pas « comme toi-même ». Je sens que dans cette addition il y a quelque chose de faux. Il se peut que dans l’Ancien Testament, au chapitre XIX des Lévites, il soit dit : « Aime ton prochain comme toi-même. » Mais là ce n’est pas avec le sens général, cela ne se rapporte qu’aux « fils de ton peuple » et c’est encore trop imprégné d’attachement charnel. Il m’a toujours paru étrange et même impoli de se rappeler de soi-même en parlant de l’amour pour un autre et de sentir qu’on ne peut pas avouer que c’est mal rédigé, que cette comparaison est semblable à une petite fente dans la cloche pneumatique. Dès que cette fente