Page:Tolstoï - Les Rayons de l’aube.djvu/317

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nent à la fabrique deux ou trois jours après l’accouchement. Ainsi pendant vingt ans, je sais que des dizaines de mille de mères jeunes et fortes sont mortes ; et que maintenant aussi des mères continuent à détruire leurs vies et celles de leurs enfants pour préparer des étoffes de velours et de soie.

Hier, j’ai rencontré un jeune mendiant appuyé sur des béquilles, le dos difforme ; il travaillait dans une usine ; là il est tombé et s’est fait quelques lésions internes ; pour les remèdes et le médecin, il a dépensé tout son avoir, et maintenant, depuis huit années, sans asile, il demande l’aumône et se plaint de ce que Dieu ne lui envoie pas la mort. Que de vies perdues ainsi et que nous ne savons pas ! ou plutôt nous le savons, mais nous n’y faisons pas attention, convaincus qu’il doit en être ainsi.

Je sais qu’à l’usine métallurgique, à Toula, certains ouvriers pour avoir un dimanche de libre sur deux, restent à l’usine une journée et une nuit, c’est-à-dire travaillent vingt-quatre heures consécutives. J’ai vu ces ouvriers ; tous boivent du vin pour soutenir en eux l’énergie, et, de même que les hommes d’équipe du chemin de fer ils dépensent rapidement non l’intérêt, mais le capital de leurs vies. Et la destruction des vies des hommes qui font un travail sciemment nuisible : les typographes, empoison-