Page:Tolstoï - Les Rayons de l’aube.djvu/319

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tout à fait tranquille, nous recevrons et enverrons des marchandises par le chemin de fer ; nous recevrons les appointements, les dividendes, les revenus des maisons, de la terre, etc. En apprenant que dans les fabriques de soies, les femmes et les filles qui vivent loin de leurs familles, parmi les tentations, perdent leurs vies et celles de leurs enfants ; que la plupart des blanchisseuses qui repassent nos chemises, et les typographes qui composent les livres qui nous distraient et les journaux, deviennent phtisiques, nous hausserons seulement les épaules et dirons que nous regrettons infiniment qu’il en soit ainsi, mais que nous n’y pouvons rien. Et avec la conscience tranquille, nous continuerons d’acheter des étoffes de soie, de porter des chemises empesées et de lire les journaux le matin. Nous sommes très soucieux du repos des employés ; encore plus, du surmenage scolaire de nos enfants ; nous défendons sévèrement aux charretiers de surcharger leurs chevaux ; dans les abattoirs nous faisons même en sorte que les animaux souffrent le moins possible ; et d’où vient cet étrange aveuglement aussitôt qu’il s’agit de ces millions d’ouvriers qui partout, lentement, et souvent avec les plus grandes souffrances, se tuent à leurs travaux dont nous profitons pour notre commodité et nos plaisirs.