Page:Tolstoï - Les Rayons de l’aube.djvu/410

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gue, il tire les guides du cheval las, et rentre d’un autre côté.

Le garçon s’approche du père et demande :

— Père, pourquoi lui amenons-nous notre blé ? c’est nous pourtant qui l’avons fait pousser.

— C’est que la terre est à eux, répond gravement le père.

— Et qui leur a donné la terre ?

— Voilà, demande-le à l’employé, il te montrera qui ; tu vois le fouet qu’il tient ?

— Et que feront-ils de ce blé ?

— Ils le moudront et le vendront.

— Et que feront-ils de l’argent ?

— Ils en achèteront ces gâteaux que tu as vus sur la table en passant.

Le garçon se tait et réfléchit. Mais il n’en a guère le temps, on crie au père d’approcher le chariot de la meule. Le paysan approche le chariot, monte dessus, et en se ployant difficilement, sa hernie le faisant de plus en plus souffrir, il jette les gerbes sur la meule. Et le garçon tient la vieille jument, avec laquelle il travaille déjà depuis deux ans et chasse les œstres, comme le lui a ordonné son père ; il se remet à réfléchir et ne peut aucunement comprendre pourquoi la terre n’appartient pas à ceux qui la cultivent, mais à ces garçons qui, en chemises brodées, jouent à la balle et prennent du thé avec des gâteaux.