Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/135

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La philosophie, la science, l’opinion publique disent : la doctrine de Jésus ne peut pas être appliquée ici-bas parce que la vie de l’homme ne dépend pas de la lumière dont sa raison peut l’éclairer, mais de lois générales ; aussi, il est inutile d’essayer de se conformer absolument à la raison, mais il faut se laisser vivre comme on peut, avec la ferme conviction que d’après la loi du progrès historique, sociologique et autre, — après avoir vécu mal fort longtemps, subitement la vie deviendra d’elle-même très bonne.

Des gens arrivent dans une ferme ; ils y trouvent tout ce qu’il faut pour vivre : maison fournie de tout, grenier regorgeant de blé, caves et celliers approvisionnés, instruments aratoires, outils, harnais, chevaux, bétail, — ménage complet, bref, tout ce qu’il faut pour une vie d’abondance.

Tous veulent profiter de ces richesses, mais chacun pour soi, sans penser aux autres, ni à ceux qui viendront après. Chacun veut tout pour lui et s’empresse d’accaparer le plus possible. Alors commence un véritable pillage ; on lutte, on se bat pour la possession du butin ; vaches à traire, moutons couverts de toison, sont abattus pour la boucherie ; chariots et établis convertis en bois de chauffage, on se bat pour le lait, pour le grain, on renverse, on gaspille plus qu’on ne consomme. Personne ne mange tranquillement son morceau, on est sur le qui-vive ; arrive un plus fort qui vous enlève votre part, pour l’abandonner à un plus fort que lui.

Tous ces gens éreintés, battus, affamés quittent la ferme. Derechef le Maître la réorganise de façon qu’on puisse y vivre tranquillement. La ferme présente de