Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/140

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qui m’empêchait de comprendre toute la portée de la doctrine de Jésus sur la vie. Jésus propose sa doctrine comme le moyen de se sauver de cette vie de perdition organisée par les hommes, contrairement à ses préceptes : et moi, je me dis que je serais bien aise de la suivre, cette doctrine, mais que je crains la perdition ! Jésus me donne le vrai remède contre une vie de perdition, et moi je me cramponne à cette vie de perdition ! Il faut donc que je ne considère nullement cette vie comme une vie de perdition, mais plutôt comme quelque chose de bon et de réel. Cette conviction que ma vie personnelle mondaine est quelque chose de réel qui est mon bien constitue le malentendu, l’obstacle qui empêche de comprendre la doctrine de Jésus. Jésus connaît cette erreur des hommes qui leur fait prendre cette vie personnelle mondaine pour quelque chose de réel qui est leur bien, et il leur démontre par toute une série d’enseignements et de paraboles, qu’ils n’ont aucun droit à la vie, qu’ils n’ont pas la vie jusqu’à ce qu’ils s’assurent la vraie vie, en renonçant à cette organisation mondaine fantastique qu’ils appellent la vie.

Pour comprendre ce que cela veut dire « sauver sa vie » selon la doctrine de Jésus, il faudrait auparavant comprendre ce qu’ont dit tous les prophètes, Salomon, Bouddha et tous les sages du monde sur la vie personnelle de l’homme. On peut, selon l’expression de Pascal, ne pas penser à cela, et porter devant soi un écran qui nous cache l’abîme de la mort vers laquelle nous marchons tous ; mais il suffit de réfléchir à l’isolement de cette vie personnelle de l’homme, pour se convaincre que cette vie en tant qu’elle est personnelle, non seulement n’a pas le moindre sens pour chacun