Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la vie et la mort, et qu’il essaye de donner à la vie et à la mort un autre sens que celui révélé par Jésus.

Toute tentative de donner un sens quelconque à la vie, si elle n’est pas basée sur le renoncement à son égoïsme, si elle n’a pas pour but de servir les hommes, l’humanité — le Fils de l’homme, — est une chimère qui vole en éclats au premier contact de la raison. Que ma vie personnelle me condamne à périr et que ma vie conforme à la volonté du Père soit impérissable, qu’elle seule donne la possibilité du salut, — cela ne peut être mis en doute. C’est bien peu, dira-t-on, en comparaison de ces croyances sublimes dans la vie future ! — C’est peu, mais c’est sûr.

Je suis égaré, avec mes compagnons, dans un ouragan de neige. L’un d’eux m’assure, et cela lui paraît vrai qu’il aperçoit là-bas des feux — et un hameau ; mais ce n’est qu’un mirage qui nous trompe tous les deux ; nous voudrions les voir ces feux, et nous sommes déjà maintes fois allés vers eux, sans jamais les trouver. Un autre s’enfonce résolument dans la neige ; — il cherche, il trouve le chemin et nous crie : N’allez pas vers ces feux, ils sont dans vos yeux ; ou que vous alliez, vous ne pourrez que vous égarer et vous perdre ; — voici le chemin ferme, je le sens sous mes pieds, nous serons en sûreté. C’est bien peu, trouvons-nous. Quand nous avions confiance dans ces feux qui s’allumaient dans nos yeux trompés, il y avait là, tout près, un hameau, un abri chaud, le repos, la délivrance, et maintenant on ne nous propose rien que la route. — Eh bien, si nous continuons à marcher vers les feux imaginaires, nous serons gelés ; au contraire, si nous suivons la route, nous arriverons sûrement à bon port.