Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/183

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mal ? ne puis-je pas m’abstenir d’y participer ? Se peut-il qu’il soit impossible d’alléger tous ces maux qui pèsent sur moi ? On repond que c’est impossible. Ton désir de vivre bien et d’aider les autres à faire de même — n’est qu’orgueil — tentation ! Une chose est possible — te sauver, sauver ton âme pour la vie future. Et si tu ne veux pas prendre part à notre vie misérable — tu n’as qu’à en sortir. Cette voie est ouverte à chacun, — dit la doctrine de l’Église, mais sache qu’en choisissant cette voie, tu dois ne plus prendre part à la vie du monde, mais cesser de vivre et te suicider petit à petit. Il n’y a que deux voies, nous disent nos maîtres : croire et obéir aux puissances, prendre notre part du mal que nous avons organisé, ou bien quitter le monde ; nous enfermer dans un couvent, nous priver de sommeil et de nourriture, ou bien pourrir sur un pilier, comme le Stylite ; se coucher et se redresser en faisant des saluts à la messe, sans jamais rien faire pour les hommes, ou déclarer la doctrine de Jésus impossible à pratiquer ; accepter l’iniquité de la vie sanctionnée par l’Église, ou bien enfin renoncer à la vie, ce qui équivaut à un lent suicide.

Quelque surprenante que paraisse à quiconque a compris la doctrine de Jésus l’erreur en vertu de laquelle on affirme qu’elle est excellente, mais impossible à pratiquer, — il est une erreur encore plus surprenante, c’est celle en vertu de laquelle on affirme qu’un homme qui veut pratiquer cette doctrine, non en paroles, mais en réalité, doit se retirer du monde.

Cette erreur, qu’il vaut mieux pour un homme s’éloigner du monde que s’exposer aux tentations, est une ancienne erreur depuis longtemps connue des Hébreux,