Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/213

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quelques poissons ; il y avait de plus quelques pains apportés par les disciples. Jésus comprit que quelques-uns de ces gens, venus de loin, avaient apporté des provisions, d’autres, non. (La preuve que plusieurs d’entre les assistants avaient apporté des provisions, c’est que, selon tous les quatre évangélistes, après le repas, les restes furent rassemblés dans douze paniers. Si personnes n’avait rien apporté, excepté le garçon, par quel hasard aurait-on trouvé douze paniers sur la prairie ?)

Si Jésus n’avait pas fait ce qu’il a fait, c’est-à-dire le miracle d’avoir rassasié quelques milliers de gens avec cinq pains, tout se serait passé à cette occasion exactement comme cela se passe maintenant dans le monde. Ceux qui avaient des provisions auraient mangé ce qu’ils avaient ; ils auraient mangé tout par gloutonnerie ou par avidité pour que rien ne reste. Les avares auraient peut-être serré les restes pour les rapporter à la maison. Ceux qui n’avaient rien seraient restés affamés, épiant avec haine et envie les mangeurs ; peut-être que quelques-uns d’entre eux auraient volé des provisions à ceux qui s’en étaient pourvus, provoquant ainsi des querelles et des rixes, et les uns s’en seraient retournés chez eux repus, et les autres affamés et irrités. C’eût été exactement ce qui se passe dans notre existence.

Mais Jésus savait bien ce qu’il voulait faire (comme il est dit dans l’Évangile). Il commanda à tous de s’asseoir en cercle, engagea ses disciples à offrir leurs provisions à ceux qui n’avaient rien, et recommanda aux autres de faire de même. Il en résulta que, quand tous ceux qui avaient des provisions suivirent l’exemple des disciples de Jésus, c’est-à-dire offrirent aux autres ce qu’ils avaient, — tout le monde mangea modéré-