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Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/23

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loi, puisqu’il l’a pratiquée lui-même, comme homme, et que ses disciples ont fait comme lui, comment encore une fois pourrais-je parler d’impossibilité de la pratiquer sans secours surnaturel ?

Si quelqu’un mettait en œuvre toute son intelligence pour anéantir une loi quelconque, que pourrait-il dire de plus fort, si ce n’est que cette loi est essentiellement impraticable, que l’idée du législateur lui-même, au sujet de sa loi, était de la juger impraticable et irréalisable sans secours surnaturel ? C’est exactement ce que je pensais jadis du commandement : « Ne résistez pas au méchant. » Et je me mis à me rappeler comment et quand m’entra dans la tête cette singulière idée que la loi de Jésus est divine, mais qu’elle ne peut pas être pratiquée. Et, en approfondissant mon passé, je compris que cette idée ne m’avait jamais été communiquée dans toute sa crudité (elle m’aurait repoussé) mais qu’insensiblement je m’en étais imbu dès mon enfance, et que toute ma vie ultérieure n’avait fait qu’affermir en moi cette étrange erreur.

Dès mon enfance, on m’avait enseigné que Jésus est Dieu et que sa doctrine est divine, mais en même temps on m’apprenait le respect des institutions qui garantissent par la violence ma sécurité contre le méchant ; on m’enseignait à considérer ces institutions comme sacrées. On m’enseignait à résister au méchant, on m’inculquait l’idée que c’est humiliant de céder au méchant, et louable de lui résister. On m’apprenait à juger et à punir. Puis on m’enseignait le métier des armes, c’est-à-dire à résister au méchant par l’homicide ; on appelait l’armée dont je faisais partie : « Armée christophile, » et on implorait sur elle la bénédiction chrétienne.