Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/24

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Depuis mon enfance jusqu’à l’âge viril, on m’a appris à vénérer ce qui est en contradiction flagrante avec la loi de Jésus : Riposter à l’agresseur, se venger par la violence pour offenses contre ma personne, ma famille et mon peuple. Non seulement on ne blâmait pas cela, mais on m’habituait à considérer que tout cela était bien et point contraire à la loi de Jésus.

Tout ce qui m’entoure : ma sécurité et celle de ma famille, ma propriété, tout cela reposait donc sur une loi réprouvée par Jésus, sur la loi : « Dent pour dent. »

Mes maitres spirituels enseignaient que la loi de Jésus est divine, mais que la pratique en est impossible, vu la faiblesse humaine, et que seule la grâce de Jésus-Christ peut aider à la pratiquer. Et cet enseignement concordait avec celui que je recevais dans les institutions séculières, avec toute l’organisation sociale qui m’entourait.

Cette idée de la doctrine de Dieu reconnue impraticable me pénétra peu à peu à un tel point, me devint si habituelle et était si bien d’accord avec mes passions que je n’avais jamais remarqué jusqu’à présent la contradiction dans laquelle je me trouvais.

Je ne voyais pas qu’il était impossible de confesser Jésus-Christ, Dieu, dont la doctrine a pour base : « Ne résistez pas au méchant, » et en même temps de travailler avec préméditation à l’organisation de la propriété, des tribunaux, de l’État, des armées, d’organiser, en un mot, une existence contraire à la doctrine de Jésus, et d’adresser des prières à ce même Jésus pour qu’il fasse en sorte que nous observions son commandement de pardonner et de ne pas résister au méchant.