Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

damnent les tribunaux. Tous les martyrs professaient la même chose par leurs actes.

Je vois que toute la chrétienté, avant Constantin, ne considérait jamais les tribunaux que comme un mal qu’il faut supporter avec patience, mais qu’il n’a jamais pu entrer dans la tête d’un chrétien de ce temps qu’un chrétien peut faire partie d’une cour de justice.

Je vois donc que les paroles de Jésus : « Ne jugez point et ne condamnez point, » ont été comprises par ses premiers disciples comme je les comprenais maintenant, dans leur sens direct : ne jugez point en cour de justice, n’en faites point partie.

Tout venait absolument corroborer ma conviction que les paroles : « Ne jugez point et ne condamnez point, » veulent dire : ne jugez point en justice. Cependant le sens : « Ne médites pas du prochain, » est si usité et les tribunaux se posent avec tant d’assurance et d’audace dans toutes les sociétés chrétiennes, avec l’appui même de l’Église, que longtemps encore je doutais de la justesse de mon interprétation. Si tous les hommes ont pu comprendre ainsi et instituer des tribunaux chrétiens, ils avaient certainement quelque raison pour cela et c’est toi qui auras fait quelque méprise, pensais-je dans mon for intérieur : Il doit y avoir une bonne raison pour laquelle ces paroles ont été entendues dans le sens de médisance et il y a, pour sûr, une base quelconque à l’institution des tribunaux chrétiens.

Je m’adressai aux commentaires de l’Église. Dans tous, à dater du ve siècle je trouvai qu’il est d’usage de comprendre ces mots ainsi : ne blâmez point le prochain, ― c’est-à-dire évitez la médisance. Et comme il est convenu de comprendre ces mots exclusivement