Page:Tolstoï - Qu’est-ce que l’art ?.djvu/248

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elles ne peuvent s’empêcher de la respecter aussi, se sentant entraînées vers elle par tout leur être intérieur. Et voici que ces âmes simples s’aperçoivent qu’en plus des hommes respectés pour leur force physique ou morale, il y a encore d’autres hommes plus respectés, plus admirés, plus récompensés que tous les héros de la force et du bien, et cela simplement parce qu’ils savent chanter, danser, ou écrire des vers. Elles voient que les chanteurs, les danseurs, les peintres, les hommes de lettres gagnent des millions, qu’on leur rend plus d’hommages qu’aux saints ; et ces âmes simples, — les enfants et les gens du peuple, — sentent le désarroi grandir en elles.

Lorsque, cinquante ans après la mort de Pouchkine, ses œuvres ont été répandues dans le peuple, et qu’un monument lui a été élevé à Moscou, j’ai reçu plus de dix lettres de paysans me demandant pourquoi on exaltait ce Pouchkine. Il y a quelques jours encore, un petit bourgeois de Saratof, — homme instruit d’ailleurs, — est venu à Moscou pour reprocher au clergé d’avoir approuvé l’érection d’un « monament » au sieur Pouchkine.

Et, en effet, qu’on se représente seulement la situation d’un homme du peuple qui lit dans son