Page:Tolstoï - Qu’est-ce que la religion.djvu/60

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déclare convaincu que l’abnégation de soi-même, la douceur, l’humilité, l’amour, sont des vices qui perdent l’humanité. (Il a en vue le Christianisme en oubliant toutes les autres religions.) On comprend très facilement qu’une telle affirmation frappe au premier moment. Mais en réfléchissant un peu, et en ne trouvant dans l’ouvrage aucune preuve de cette affirmation étrange, tout homme raisonnable doit rejeter un livre pareil et s’étonner que dans notre temps une telle bêtise puisse trouver un éditeur. Mais avec les livres de Nietzsche il n’en est pas ainsi. La majorité des hommes soi-disant éclairés discutent sérieusement la théorie de la surhumanité et reconnaissent son auteur comme le plus grand philosophe, l’héritier de Descartes, de Leibnitz et de Kant.

Et tout cela provient de ce que pour la majorité des hommes soi-disant éclairés de notre temps, le rappel de la vertu, de sa base fondamentale, l’abnégation de soi-même, de l’amour, qui gêne et condamne leur vie bestiale, est désagréable, et qu’ils ont du plaisir à rencontrer cette doctrine de l’égoïsme, de la cruauté, de l’édification de sa gloire et de son bonheur aux dépens de la vie des autres hommes, cette doctrine selon laquelle ils vivent, bien qu’elle soit exprimée tant bien que mal, sans ordre et sans lien.