Page:Tolstoï - Quelle est ma vie ?.djvu/73

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paroles et ces actions au moyen desquelles j’aurais pu continuer ce que j’avais commencé ; dans mon for intérieur je sentais que je mentais, que j’étais moi-même comme eux, que je n’avais plus rien à dire, et je me mis à inscrire sur les feuilles les noms et la profession de tous les habitants de ce logement. Ce fait m’induisit en une nouvelle erreur et m’inspira l’idée que l’on pouvait porter secours à ces malheureux. Ma présomption me présentait cela comme facile à réaliser. Je me disais : inscrivons ces femmes et puis nous — (qui était ce nous ? je ne m’en rendais pas compte), quand nous aurons tout inscrit, nous nous en occuperons. Je m’imaginais que nous, c’est-à-dire ceux-mêmes qui avaient réduit et réduisaient ces femmes à cet état durant plusieurs générations, pourrions un jour, dès que nous le voudrions seulement, réparer tout ce mal. Tandis qu’il aurait suffi de me rappeler ma conversation avec la prostituée qui berçait l`enfant de l’accouchée malade, pour comprendre toute la folie d’une pareille supposition. Quand nous vîmes cette femme avec l’enfant, nous crûmes que c’était le sien. À la question : qui êtes-vous ? elle repondit franchement qu’elle