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Page:Tolstoï - Quelle est ma vie ?.djvu/74

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était une fille. Elle ne dit pas : « prostituée ». Seul, le bourgeois, le maître du logement employa ce terrible mot. Comme je supposais qu’elle avait un enfant, cela m’inspira l’idée de changer sa position. Je lui demandai :

— Est-ce votre enfant ?

— Non, il est à cette femme-là.

— Pourquoi donc le bercez-vous ?

— Elle m’en a prié. Elle se meurt.

Quoique ma supposition fût fausse, je continuai à lui parler dans le même sens. Je commençai à lui demander qui elle était et comment elle était tombée dans une telle position. Elle me raconta volontiers et très simplement son histoire. Elle était née a Moscou ; elle était fille d’un ouvrier. Elle resta orpheline, et sa tante la recueillit. En logeant chez sa tante, elle commença à fréquenter les restaurants. La tante était morte auparavant. Quand je lui demandai si elle voulait changer de vie, ma question parut ne l’intéresser en rien. Comment peut-en s’intéresser à quelque supposition impossible ? Elle se mit à rire et me dit : « Mais qui donc me prendrait avec un billet jaune ? »[1]


  1. La carte qu’on donne aux filles soumises en Russie.