Page:Tolstoï - Quelle est ma vie ?.djvu/76

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vie ? Où sont parmi nous ces hommes persuadés que toute une vie laborieuse est plus estimable qu’une vie oisive, qui en sont convaincus et vivent conformément à cette conviction, et, conformément aussi à leur conviction, apprécient et estiment les autres hommes ? Si j’avais pensé à cela, j’aurais pu comprendre que ni moi, ni aucun de ceux que je connais, ne pouvions guérir cette maladie. J’aurais pu comprendre que ces têtes étonnées et attendries, qui se montraient derrière les cloisons, ne manifestaient que de l’étonnement en présence de la sympathie qu’on leur montrait, et, en aucune façon, l’espoir d’étre retirées de l’immoralité. Elles ne voient pas l’immoralité de leur vie. Elles voient qu’on les méprise et qu’on les injurie, mais elles ne peuvent pas comprendre la cause de ce mépris. Elles ont vécu, des l’enfance, parmi des femmes semblables, qui, elles le savent bien, ont toujours été et sont indispensables dans la société, si indispensables même qu’il y a des fonctionnaires du gouvernement qui prennent soin de leur existence régulière. En outre, elles savent qu’elles ont de l’ascendant sur les hommes, qu’elles les assujettissent, et souvent les dominent plus que les