Page:Tolstoï - Quelle est ma vie ?.djvu/82

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encore une fois à la maison, mais il était si ingrat qu’il m’évitait toujours. Si j’avais examiné alors la vie de ce garçon et la mienne, j’aurais compris qu’il était corrompu parce qu’il avait trop appris le moyen de vivre agréablement, sans rien faire, et qu’il avait perdu l’habitude du travail. Et moi, pour le combler de bienfaits et le corriger, je l’avais pris dans ma maison. Or, qu’avait-il vu chez moi ? — Mes enfants qui avaient à peu près son âge et qui non-seulement ne travaillaient jamais pour eux, mais encore procuraient par tous les moyens de l’ouvrage à autrui, salissaient, gâtaient tout autour d’eux, se bourraient de choses douces et savoureuses, cassaient la vaisselle et jetaient aux chiens des morceaux qui auraient été pour ce garçon une friandise. Si je le tirais du « repaire » et si je l’emmenais dans une bonne place, il devait s’assimiler la manière d’envisager la vie qui existait dans cette bonne place ; et, d’après ces vues, il comprit que dans une bonne place il fallait vivre sans travailler, manger et boire doux, et vivre en s’amusant. Il ne savait pas, il est vrai, que mes enfants étudiaient péniblement les exceptions des grammaires grecque et latine ; il n’aurait même pas pu comprendre le but de cette