— La raison est que je tiens tous ses jugements pour inutiles et pour immoraux.
— Bah ! — s’écria le procureur avec le même sourire ironique, signifiant que de tels principes lui étaient connus, et que ce n’était pas la première fois qu’il s’en amusait. — Vous comprendrez sans peine, n’est-ce pas ? que, en ma qualité de procureur, je ne puisse pas partager votre avis sur ce point. Mais allez expliquer tout cela au tribunal ! Le tribunal appréciera vos explications, les déclarera recevables ou non recevables, et, dans ce dernier cas, vous infligera une amende. Adressez-vous au tribunal !
— Comme je vous l’ai dit, je suis résolu à n’y pas retourner ! — déclara sèchement Nekhludov.
— Mes salutations ! — fit alors le magistrat, manifestement impatient de se débarrasser de son étrange visiteur.
— Qui est-ce donc que vous venez de recevoir ? — demanda au procureur, quelques instants après, un juge qui venait d’entrer dans son cabinet au moment où Nekhludov en sortait.
— C’est Nekhludov, vous savez bien, celui qui déjà autrefois, dans le Zemstvo de Krasnopersk, s’était fait remarquer par toute sorte de propositions excentriques ! Figurez-vous que, étant juré, il a retrouvé sur le banc des prévenus une fille publique qui, à ce qu’il prétend, a été séduite par lui. Et le voilà qui, maintenant, veut se marier avec elle !
— Est-ce possible ?
— C’est ce qu’il vient de me dire ! Et si vous saviez avec quelle exaltation extravagante !
— On dirait vraiment que quelque chose d’anormal se passe dans le cerveau des jeunes gens d’à présent !
— Mais c’est que celui-là n’a plus l’air tout jeune !… Dites donc, en a-t-il raconté, hein ? votre fameux Ivachenkov ? Cet animal-là a juré de nous faire mourir ! Il parle, parle à l’infini !
— On devrait simplement lui retirer la parole ! À ce degré-là, cela devient de l’obstructionnisme !