Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dats et le gardien, et les prisonniers eux-mêmes, s’accommodaient de cette façon de s’entretenir comme d’une chose naturelle et inévitable.

Nekhludov resta ainsi immobile, durant plusieurs minutes, accablé d’une étrange impression de mélancolie, où se mêlaient un dégoût de toutes choses et la conscience de sa propre faiblesse.


II


— Tout de même, se dit Nekhludov, il faut faire ce pour quoi je suis venu ! Mais à qui m’adresser ?

Il chercha des yeux le surveillant de la salle et finit par le découvrir, mêlé à la foule. C’était un petit homme sec, avec des épaulettes d’officier à son uniforme. Nekhludov s’avança vers lui :

— Pardon, monsieur, — lui dit-il avec une déférence contrainte, — ne pourriez-vous pas m’indiquer où se trouve la section des femmes, et où l’on peut s’adresser pour les voir ?

— C’est au parloir des femmes que vous vouliez aller ?

— Oui. Je désirerais voir une femme qui est emprisonnée ici.

— Pourquoi ne l’avez-vous pas dit tout à l’heure, dans la première salle, quand on vous l’a demandé ?

Puis se radoucissant :

— Et qui est-ce que vous désirez voir ?

— La femme Catherine Maslov.

— Une détenue politique ?

— Non, elle est simplement…

— Mais enfin quoi ? une prévenue ? une condamnée ?

— Oui, condamnée depuis avant-hier, — répondit doucement Nekhludov, craignant de détruire, par une parole trop vive, la bonne disposition qu’il croyait distinguer chez le surveillant.

Et le fait est que sa douceur parut toucher le terrible homme.